Jihee Han : Chuchotements de la monochromie

La critique d’art Julija Palmeirao s’entretient avec

l’artist Jihee Han

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Jihee Han, peintre coréenne vivant à Paris, enchante par son calme. Tant par son regard que par son œuvre. Dans ses peintures délicates, on peut voir des montagnes enneigées, des cascades, des paysages de l’immensité du ciel et de la terre, des vibrations de l’océan. L’artiste transfère habilement les motifs de la nature et les fragments de souvenirs sur la toile, la transformant en univers mystérieux. Actuellement, l’artiste, dépassant sa zone de confort, est devenue live dans les espaces de la galerie parisienne « Galerie Odile Ouizeman », afin que chacun puisse observer les étapes de la création de ses oeuvres jusqu’au 29 octobre.

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Jihee, ça fait longtemps que je pense à t’interviewer. Quand j’ai vu vos oeuvres pour la première fois, je me suis demandé – d’où vient la paix et l’harmonie en elles, alors que vous vivez dans un quartier si animé de Montmartre. Parlez-nous un peu de vous – où vous êtes né, où vous avez grandi, ce que vous avez étudié.

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Je suis née à Busan et j’ai grandi à Séoul en Corée du sud. Et je me suis installée en France après mon licence en 2010. J’ai fait mes études «Art plastique» et obtenu le diplôme «Peinture» à Séoul. Quand j’étais étudiante, jusqu’à la troisième année j’ai essayé de prendre maximum des cours variés, dessin, gravure, sculpture, photographie et vidéo, peinture traditionnelle coréenne, peinture contemporain, histoire de l’art, philosophie contemporain, histoire de cinéma…etc., et à la quatrième année j’ai décidé de approfondir à la peinture. Et quelques années plus tard j’ai fait le master à la Sorbonne «Art de l’image et du vivant».

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Pourquoi as-tu choisi la peinture quand même ? Qu’est-ce qui vous a le plus attiré dans ce média parmi tous les domaines que vous avez essayés ?

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J’aime simplement métriser des pinceaux et composer des images dans une scène. Et aussi j’aime le langage pictual qui permet une distance avec la réalité, pas très direct. C’est-à-dire la peinture me permet une espace de l’imagination à mon intérieur.

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Qu’est-ce qui t’inspire créativement?

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Visuellement j’ai beaucoup nourri par des voyages. Depuis petite j’aime observer le courant de l’eau, le mouvement des nuages, le changement des couleurs du ciel…etc. Mais ce n’est pas que la nature qui m’inspire. Je pourrai dire que cela vient de ma vie, de tous mes expériences. L’amitié, des gens que je rencontre, la musique classique, l’espace où je travaille, la mort, des voyages…etc., tous est relatif.

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Les artistes dans leur vie créative ont parfois des sommités, des professeurs indirects, des personnalités qu’ils admirent et suivent. Les avez-vous aussi ?

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Ça change chaque période… à une époque c’était l’écrivain comme Pascal Quignard et à une autre époque c’était un peintre comme Mark Rothko et Jean Dégottex. Et maintenant Franz Liszt. J’écoute que « Douze études d’exécution transcendante » depuis des mois.

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Comment se passe ton processus de création ? Comment te prépares-tu à commencer une nouvelle œuvre, et quand sais-tu que la pièce est terminée ?

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Pour commencer une nouvelle œuvre j’attends ‘un bon moment’ pour peindre. Je passe beaucoup du temps pour attendre à mon atelier. ‘Un bon moment’, cela peut être très abstrait pour expliquer. Je dois avoir la tête claire, en forme physiquement et l’esprit tendu mais en même temps une sérénité de mon intérieur. Pour commencer une nouvelle œuvre, je n’ai pas besoin d’une image intégralement dans ma tête, ni besoin de chercher une idée ou l’inspiration. Je sais qu’ils existent déjà en moi et que je dois les faire sortir. Donc plutôt je fais du yoga ou écouter la musique pour arriver à ‘un bon moment’. Après quand ça commence, c’est très rapide. Je n’arrête pas prendre des décisions pour avancer une toile jusqu’à la fin. Pour le moment de terminer une œuvre, je ne peux pas expliquer comment je sais. Mais je sais. Peut-être quand je n’ai plus de doute.

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Lorsque j’ai visité votre atelier avec le groupe de collectionneurs d’art parisien « Cultur Foundry » et que j’ai vu vos peintures, je les ai trouvées exceptionnellement fraîches, pleines de minimalisme scandinave et remplies d’esthétique nordique. Comment décrirais-tu tes peintures monochromes par rapport au paysage pictural français?

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Depuis longtemps j’apprends vider ou simplifier des idées ou ma vie. Et j’essaie de faire le paysage qui est bien cohérent avec moi. Pour peindre, je ne réfléchis pas forcément pour ajouter quelque chose. Plutôt créer un rythme avec des minimum des éléments. C’est pour ça il y a le modeste dans mes palettes et souvent l’espace comme le vide (pas vide mais pas précisée). Alors quand je dois prendre une décision pour avancer une toile, j’évite souvent des premières idées qui m’arrivent et essaie d’éliminer maximum des choix. J’ai mal à généraliser sur le paysage pictural français mais c’est vrai qu’on voit pas mal des paysages colorés avec des figures depuis quelques années. Dans ce sens-là, peut-être c’est mieux comparer ma peinture avec la peinture abstrait. Parce que je peins le paysage mais c’est le paysage mental, je peins des rochers, l’eau, des branches et le ciel mais ce que je veux exprimer est l’énergie qui habite en eux, ce n’est pas exactement leurs figures qui m’intéressent.

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Comment as-tu réussi à apprivoiser Paris ? Les cultures coréenne et française sont très différentes. Comment as-tu réussi à combiner ces différences ?

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C’est vrai que les cultures coréenne et française sont très différentes, on pourra dire qu’il est presque opposé dans un certain sens. La Corée, c’est un pays qui a une vraie énergie pour avancer et qu’on est sensible et fort pour le changement. Par contre chez les français je trouve qu’il existe la tradition et la modernité ensemble dans la culture. Depuis mon adolescence je suis influencée par les cultures française comme la littérature et le cinéma. Donc j’ai mis pas mal du temps pour discuter vraiment avec les français à cause de niveau de la langue, mais je suis arrivée plutôt naturellement à un bon équilibre entre les deux avec du temps. J’essaie de prendre des avantages de chaque pays.

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Tu te sens heureuse à Paris en tant qu’artiste et en tant que personne ?

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Je suis à Paris depuis plus de 10ans et j’ai commencé à travailler ici donc je suis plus à l’aise. J’ai l’impression que je peut être comme je suis. J’aime la façon de communiquer et de partager des français.

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Actuellement, ton studio a déménagé dans un espace public – la Galerie Odile Ouizeman. Comment décrirais-tu le sentiment d’avoir des étrangers qui regardent ton processus créatif?

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Les premier et dixième jours ont été un peu étranges. Je n’avais pas une concentration totale. Mais j’ai réalisé que dans cette situation je dois accepter et compter sur une autre énergie, pas celle intérieure que je nourris tant dans mon environnement proche. C’est vraiment un travail non seulement avec la toile, mais aussi avec mon intérieur. Des enfants s’arrêtent de temps en temps dans la rue pour me regarder par la fenêtre, je vois sans cesse des voisins passer… Des visiteurs s’approchent de moi, certains passent périodiquement pour voir comment se déroule le processus de peinture et comment le travail évolue. Je vois que les gens s’y intéressent vraiment. Sentant le soutien des passants, je sens que moi aussi je commence à m’intéresser à m’adapter à cette nouvelle situation. Et au final, la prise de conscience que cela ne m’empêche pas nécessairement d’avancer avec la peinture m’inspire à aller de l’avant.

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L’interview originale a été publiée dans le magazine lituanien « Literatūra ir menas »

Merci.

Photo: Daiva Kairevičiūtė

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