Le partage est l’un des aspects les plus importants de l’art
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Entretien avec
Rita Pivoriūnaitė et Laurent Asscher

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JEFF KOONS
Hulk Elvis Serie (Rock), 2004-2013
polychromed bronze and marble
©Jeff Koons, Courtesy of the artist and AMA Collection
Installation view by Sebastiano Pellion di Persano

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Le 9 avril, un nouveau centre d’art contemporain, AMA VENEZIA, a ouvert ses portes au public à Venise — apportant avec lui une touche d’influence lituanienne. Le centre a été fondé par Laurent Asscher, l’un des plus grands collectionneurs d’art au monde, et sa partenaire, Rita Pivoriūnaitė. La Collection AMA est reconnue comme l’une des collections privées d’art contemporain les plus importantes en Europe, se distinguant par son accent sur l’art conceptuel et abstrait, ainsi que sur les œuvres d’artistes de renommée internationale.

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La vision derrière AMA VENEZIA est de créer un espace où des œuvres d’art exceptionnelles peuvent être partagées avec un large public. Laurent Asscher, qui a commencé à collectionner l’art en 2012, croit en l’importance de soutenir les artistes contemporains et d’encourager les discussions autour de l’art actuel. Cet espace exposera non seulement la Collection AMA — qui se concentre sur l’art contemporain des années 1960 à aujourd’hui, en mettant particulièrement l’accent sur les artistes américains — mais servira aussi de lieu de créativité, d’inspiration et d’expérimentation. AMA offrira aux artistes l’opportunité de repousser les limites et de créer des œuvres extraordinaires.

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Avant l’ouverture officielle de ce nouveau lieu artistique emblématique, Laurent et Rita partagent leurs réflexions et leurs projets d’avenir.

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Rita Pivoriūnaitė and Laurent Asscher

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Julia Palmeirao : Laurent, vous êtes reconnu comme l’un des collectionneurs d’art contemporain les plus influents au monde. Qu’est-ce qui vous a conduit dans le monde de l’art et vous a inspiré à constituer votre propre collection, qui comprend des œuvres d’artistes aussi renommés que Jean-Michel Basquiat, Cy Twombly, Brice Marden, Rashid Johnson, Alexander Calder, Lucio Fontana, Rudolf Stingel, entre autres ?

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Laurent Asscher : J’ai toujours été entouré de peintures depuis mon enfance. Mes parents étaient collectionneurs, et j’ai grandi avec des Basquiat, Joan Mitchell et Sam Francis accrochés aux murs. Cela a nourri mon goût pour l’art contemporain, en particulier l’art contemporain américain. Je me suis beaucoup rendu aux États-Unis pour affaires pendant de nombreuses années, et c’est là que j’ai développé ma culture artistique. C’est pourquoi ma collection est principalement composée d’artistes américains d’après-guerre, surtout de la période allant des années 1960 à aujourd’hui, dont les noms que vous avez mentionnés. Lucio Fontana est l’une des rares exceptions en tant qu’artiste européen.

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J.P. : Votre collection met en lumière des artistes contemporains et des œuvres conceptuelles. Comment abordez-vous la collection d’art ? Êtes-vous guidé par votre intuition personnelle, ou effectuez-vous des recherches approfondies sur le marché de l’art et les tendances actuelles avant chaque acquisition ?

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L.A. : Je pense que l’intuition joue un rôle majeur chez tout collectionneur, car chacun a ses propres sensibilités. Certains sont attirés par l’art figuratif, d’autres par l’abstraction. Personnellement, je tends vers l’abstraction, même si je possède quelques artistes figuratifs dans ma collection. Tout commence par une émotion — ce qui me touche, ce vers quoi je suis attiré. Ensuite, bien sûr, je mène des recherches approfondies sur l’artiste, son œuvre, son parcours et son évolution. Et, chaque fois que cela est possible, je rencontre l’artiste. Cela permet toujours de mieux comprendre à la fois la profondeur de sa démarche et le contexte du marché.

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J.P. : Votre collection est impressionnante. À quel moment avez-vous senti qu’elle était prête à être présentée au public ?

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L.A. : Ma collection compte aujourd’hui plus de 200 œuvres, et je pense qu’à un moment donné, chaque collectionneur ressent le besoin de partager ce qu’il possède. Il n’y a rien de plus égoïste que de garder des chefs-d’œuvre cachés dans des ports francs, des entrepôts ou des résidences privées. Certains choisissent de prêter leurs œuvres à des musées, d’autres — comme moi — décident d’ouvrir des espaces accessibles au public. C’est, selon moi, une évolution naturelle pour tout collectionneur. Ce qui a changé par rapport à il y a 20 ou 30 ans, c’est que les fondations ou centres d’art étaient souvent créés après le décès du collectionneur, par ses héritiers. Aujourd’hui, depuis une quinzaine d’années, les collectionneurs veulent le faire de leur vivant, pour mieux transmettre leur passion. Je crois sincèrement que le partage est l’un des aspects les plus essentiels de l’art.

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JORDAN WOLFSON
Female Figure 2014
mixed media
©Jordan Wolfson, Courtesy of the artist and AMA Collection
Installation view by Sebastiano Pellion di Persano

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J.P. : Rita, en Lituanie, vous êtes bien connue dans le domaine du sport en tant que multiple championne d’Europe de karaté full contact et médaillée aux championnats du monde. Comment l’art est-il entré dans votre vie ?

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Rita Pivoriūnaitė : L’art a toujours été présent dans ma vie — j’ai grandi dans une maison où les murs étaient ornés d’art contemporain lituanien. Ma mère s’intéressait à l’art et m’encourageait à visiter des expositions. J’ai reçu mes premières bases pratiques à l’école d’art Vienožinskis. Cependant, c’est véritablement après avoir rencontré Laurent que je me suis pleinement plongée dans le monde de l’art — sa passion est contagieuse. Il m’a fait découvrir la scène artistique contemporaine internationale, et j’ai la grande chance d’apprendre auprès des meilleurs. Vivre entourée d’œuvres de Basquiat, Twombly, Picasso, Marden ou Serra, ce n’est pas seulement un privilège, c’est aussi une source constante d’inspiration, d’exploration et de compréhension. Il est tout simplement impossible de rester indifférent.

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J.P. : La collection d’art contemporain de votre partenaire Laurent Asscher reflète-t-elle aussi votre goût artistique ? Participez-vous ensemble aux nouvelles acquisitions ?

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R.P. : Absolument — nos goûts sont en général très proches, je dirais à 90 %. Avant chaque acquisition, nous en discutons ensemble, nous échangeons nos points de vue et nos arguments. Laurent demande toujours mon avis. Parfois, bien sûr, je dois lui dire : « Je ne comprends pas », mais cela fait aussi partie du processus.

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J.P. : Laurent, votre collection comprend de nombreuses œuvres conceptuelles, souvent associées à des institutions. Avez-vous mis longtemps à mûrir l’idée de créer votre propre institution artistique, comme AMA Venezia, pour partager ces œuvres avec le public ?

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L.A. : Au départ, j’ai acquis une partie d’un palazzo à Venise, ce qui me permettait d’exposer de grands formats — les hauts plafonds et les salons spacieux de Venise sont idéaux pour cela. J’ai ouvert cet appartement au public à plusieurs reprises afin qu’il puisse être visité. Mais avec le temps, l’espace est devenu trop petit, pas assez flexible, et j’ai compris qu’il ne s’agissait que d’une étape vers quelque chose de plus ambitieux : créer un véritable lieu public, ce que représente AMA Venezia. C’est, en quelque sorte, l’aboutissement et l’étape la plus significative de ce parcours.

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J.P. : Rita, vous avez joué un rôle clé dans la création du centre d’art contemporain AMA Venezia, qui ouvrira bientôt ses portes. Quels défis et quelles découvertes ont accompagné le développement de ce musée dans un lieu historique de Venise ?

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R.P. : Installer un espace à Venise représente un véritable défi, pour de nombreuses raisons — qu’il s’agisse de la logistique (puisqu’il n’y a pas de voitures dans la ville) ou des conditions naturelles, comme le risque d’élévation du niveau de l’eau. AMA Venezia se situe dans un bâtiment historique du quartier de Cannaregio, sur la Fondamenta de Ca’ Vendramin, près de la Scuola Grande della Misericordia. Ce lieu de 1 000 mètres carrés a été entièrement restauré, tout en préservant son caractère unique. Le bâtiment possède une signification historique profonde — il apparaît sur la célèbre carte de Venise réalisée par Jacopo de Barbari en 1500. Des fouilles archéologiques ont révélé la présence de plusieurs fours, suggérant qu’il faisait partie d’un complexe industriel. Plus tard, il est devenu la Savonnerie de Venise.

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AMA Venezia est un site architectural unique qui a nécessité une rénovation complète, mais nous avons réussi à en préserver l’authenticité et l’esprit historique. Aujourd’hui, cet espace renaît en tant que centre d’art contemporain, dédié aux expositions, aux projets in situ et au dialogue culturel international.

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Je suis très impliquée dans AMA Venezia — non seulement dans sa création et dans les choix curatoriaux, mais aussi dans sa gestion quotidienne. Laurent et moi souhaitons que AMA Venezia soit bien plus qu’un simple lieu d’exposition : nous le voyons comme un centre culturel vivant, qui inspire, relie et suscite la réflexion.

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AMA VENEZIA

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J.P. : Pourquoi avoir choisi Venise comme lieu pour votre nouveau centre d’art, et quels objectifs vous étiez-vous fixés pour la rénovation du musée ?

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L.A. : Avec son riche patrimoine culturel et sa scène artistique dynamique, Venise s’est imposée comme un choix naturel. La ville devient un véritable pôle pour les fondations artistiques et culturelles, offrant un environnement idéal pour que AMA Venezia puisse s’épanouir et contribuer au paysage artistique vénitien. Situé au cœur de Venise, près de la Scuola Grande della Misericordia dans le quartier de Cannaregio, AMA Venezia proposera plus de 1 000 mètres carrés d’espace d’exposition.

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Le processus de rénovation a été confié à TA Torsello Architettura, un cabinet spécialisé dans la restauration du patrimoine architectural et culturel. Leur mission consistait à établir un dialogue harmonieux avec le passé tout en redonnant vie, de manière extraordinaire, à un espace jusque-là inutilisé.

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J.P. : Laurent, qu’est-ce que cela vous fait de voir votre centre d’art, AMA Venezia, sur le point d’ouvrir ses portes au public ? Est-ce la réalisation d’un rêve de longue date ou simplement une nouvelle étape dans votre parcours dans le monde de l’art ?

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L.A. : L’ouverture de AMA Venezia est une véritable consécration. D’ailleurs, « AMA » reprend les initiales de mes trois enfants : Andrea, Matteo et Alessandro. C’est comme la naissance d’un enfant, exactement de la taille et de la forme que j’avais imaginées. C’est donc un rêve devenu réalité, qui va sans doute évoluer dans sa programmation et dans la manière dont nous présenterons l’art dans les années à venir. Mais pour l’instant, cela m’apporte une joie profonde et un véritable émerveillement.

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WADE GUYTON

Untitled, 2021 Epson UltraChrome HDX inkjet on linen Untitled, 2024 Cast Aluminium

©Wade Guyton, Courtesy of the artist and AMA Collection

Installation view by Sebastiano Pellion di Persano

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J.P. : Quels sont les projets futurs pour AMA Venezia ? Voyez-vous des opportunités d’inclure des artistes lituaniens dans la collection ou la programmation du musée ?

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R.P. : Absolument. Je fais découvrir à Laurent l’art et les artistes lituaniens – nos discussions à leur sujet deviennent de plus en plus fréquentes. Je n’ai aucun doute que bientôt des œuvres d’artistes lituaniens feront partie de la collection. Je souhaite vraiment que l’art lituanien soit visible dans un contexte international, et AMA Venezia pourrait être une excellente plateforme pour y parvenir.

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L.A. : La scène artistique contemporaine en Lituanie est très dynamique, nous en parlons souvent avec Rita. J’ai découvert certains artistes à Paris, comme Paulius et Svajonė Stanikas (SetP Stanikas) à l’ambassade, ainsi que d’autres comme Rūta Merk, qui sont exceptionnels. Tous ces artistes méritent clairement de figurer dans les meilleures collections européennes, y compris dans la collection AMA.

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J.P. : Merci.

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L’exposition d’ouverture présente des œuvres d’Avery Singer, Brice Marden, David Hammons, Elizabeth Peyton, Florian Krewer, Jacqueline Humphries, Jeff Koons, Jordan Wolfson, Lauren Halsey, Mohammed Sami, Refik Anadol, Rudolf Stingel, Salman Toor et Wade Guyton.

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Du mercredi au dimanche | 11h00–18h00 | Entrée libre
Fondamenta de Ca’ Vendramin, 2395, 30121 Venise | Arrêt Vaporetto : Ca d’Oro
www.ama.art | info@ama.art